Au printemps 2014, Le Monde Berrubey traitait d’un procès de 1304 qui a posé des fondements de la Common Law britannique en matière de droit immobilier.
Ce n’est pas d’hier que les chicanes de clôture se retrouvent devant les tribunaux. Sachant cela, il est d’autant plus amusant de retracer en Angleterre un procès remontant au règne d’Édouard 1er, de 1272 à 1307, qui implique des Bereghby (aussi écrit Berughby ou Beruby). On retrace celui-ci dans un vieux livre qu’un avocat (Alfred J. Horwood) a publié à Londres en 1864 sous le titre Chroniques and Memorials of Great Britain and Ireland during the Middle Ages. Dans le texte original datant de 1304, il n’y a rien de moins que 715 ans, on peut lire en vieux français anglo-normand, dans l’introduction au jugement, le passage suivant :
« Rauf le fiz Michel de Bereghby porta bref de Intrusion vers Randolf de Bermegham, e demaunda une bove[i] de terre e demi et la moitié de un mees[ii], en les queux il navoit entre si par intrusion noun qe il fist apres la mort de Roger de Berygby, a qi Michel sun pere ceu tenementz lessa a terme de sa vie »[iii].
En anglais, plus facile à lire pour une personne bilingue, on nous explique que Ralph (Rauf) de Bereghby, fils (fiz) de Michel, poursuit Randolph de Bermegham (Birmigham) à l’encontre duquel il se défend d’avoir pris de force, par « abatement », une terre que son père, Michel, avait cédé à Roger de Berygby, avant qu’elle ne soit louée par ce dernier à Randolph. La question est en somme de savoir s’il y a eu prise de possession par la force ou en vertu d’un droit. S’il y a contentieux, c’est que cette propriété (ce « tenement » en vieux français anglo-normand) a été cédée selon Rauf de Bereghby autant à l’un qu’à l’autre, à Roger de Berygby comme à lui-même conjointement (Rauf est une abréviation du prénom normand Ranulf fort courant à l’époque) : « al intrusion respund il qar il temoyne qil est eynz par le fet votre auncestre, e issent nent par intrusion. Ne puet estre dedit qe sun ancestre ne lessa joyntement a Roger et a Rauf. [iv]» Pour Randolph de Bermegham, la terre n’avait été loué qu’à Roger uniquement, Rauf n’ayant ainsi aucun droit. À noter en passant le manque d’uniformité du nom de famille si Michel et Rauf de Bereghby étaient apparentés à Roger de Berygby.
Bien que cela ne soit pas tout à fait clair, on peut deviner la cause de ce procès. Il est probable que le défunt (Roger) ait cédé à Randolph de Bermegham la terre obtenue de Michel. À sa mort, Rauf a voulu reprendre une partie de cette terre, se considérant l’héritier légitime de son père Michel, qui est décrit comme un « ancêtre de fait », donc un père naturel. Il s’est retrouvé en conflit avec Randolph, qui devait déjà l’occuper entièrement. Il y a là conflit entre deux droits, apparemment aussi légitimes l’un que l’autre. Ce procès est d’ailleurs l’occasion d’un long et complexe exposé sur le droit immobilier de l’époque. Il se termine en queue de poisson sur un vice de procédure, les juges décidant à la fin que le bref d’intrusion demandé n’était pas la procédure appropriée. On a d’ailleurs l’impression que, incapables de trancher entre deux individus détenant chacun des droits réels, ils ont trouvé ce prétexte pour s’en laver les mains.
D’où viennent ces Bereghby/Berygby? Ils sont sûrement de l’est du Northamptonshire où l’on trouve plusieurs Berughby et Beruby, comme je l’ai déjà signalé, notamment à Denford, dans le fief de Gloucester, où vivaient des Berughby, aussi appelé Beruby et Bereghby (même prononciation pour le « u » et le « e » en vieil anglo-normand, ce qui devait donner Bereuwbé, plus souvent que Bereufbé, avec le « gh »). Ces Beruby y sont propriétaires à l’époque du procès d’une portion de fief qui appartenait déjà à leurs grands-parents en 1240.
Compte tenu par ailleurs de la profusion de Jehan et de Robert parmi les premiers Berrube de Normandie que nous connaissons déjà au XVIe siècle, certains écrivant même le nom Berreubé, il y a de quoi se convaincre qu’il y a bien là un lien. En même temps, les prénoms Jehan (John) et Robert ont aussi été utilisés à profusion en Angleterre à l’époque, de même que William.
Je me suis demandé si ce procès n’était pas également révélateur de la présence des Beruby dans le monde agricole. Jusqu’ici, les nombreuses traces laissées en Angleterre par notre nom de famille témoignent plutôt de l’appartenance de ceux qui le portaient à la minorité anglo-normande. Il est question de gens exerçant des fonctions professionnelles, voire prestigieuses, conseillers du roi, coroners, notaires, procureurs, curés, vicaires, moines, supérieur(e)s au sein d’institutions religieuses ou encore commerçants, militaires et hommes libres exerçant un métier noble, comme celui de maçon. Il est vrai que d’autres ont aussi laissé des traces comme propriétaires et comme témoins dans des actes de propriété, sans que ces documents ne nous révèlent cependant la nature de leurs activités ou les dimensions de la propriété en cause. Ici, il est question d’une « bove » et demi et de la moitié de l’espace nécessaire pour une maison et un jardin, de quoi établir une famille.
Rauf aurait été heureux de mettre en partie la main sur une terre ayant appartenu à Michel si son action en justice n’avait pas été rejetée. À l’époque, il devait y avoir autour de 90% des gens qui vivaient de la terre, souvent des éleveurs de moutons en Angleterre, et qui de ce fait sont plutôt restés anonymes. Ce procès autour de la possession d’une terre nous indique enfin qu’il y a probablement un bon nombre de Beruby / Berruby / Berughby / Bereghby / Berghby / Berygby / Berewby / Beroby de l’époque que nous ne pouvons connaître parce qu’ils n’ont pas laissé de traces, comme la très grande majorité des gens du Moyen-âge, probablement parce qu’ils appartenaient justement à ce monde de la terre.
Michel Bérubé, président de l’AFB, #0338
[i] Abréviation du mot « bovate », ce qui équivalait sous la loi danoise en vigueur dans le nord-est de l’Angleterre à une terre de la grandeur de ce qu’un bœuf peut labourer une année, ce que certains estiment à 15 acres.
[ii] Abréviation de « messuage », terme qui correspond à une maison et au site sur lequel elle se situe, incluant par exemple le jardin attenant à cette maison.
[iii] page 146
[iv] page 151