Païen, seigneur de Berchebi (Beruby) en 1086

Il est possible de s’interroger sur d’anciens porteurs du nom Beruby, parmi lesquels se trouve peut-être un de nos plus lointains ancêtres, un de ceux que la généalogie traditionnelle ne pourrait débusquer. Nous traitons ici de Païen,  un bel exemple.

En 1086 apparaît dans le Domesday Book le passage suivant :

Certaines traductions ont été réalisées dont celle de Stuart A Moore :

Le nom Pagen vient du latin Paganus signifiant païen. Le maître des lieux a pu mériter ce surnom parce qu’il n’était pas trop zélé au plan religieux ou, plus probablement, parce qu’il venait d’une partie de la Normandie, sûrement l’ouest du duché, où l’on s’est christianisée moins vite. Ce pourrait être aussi parce qu’il était d’origine étrangère, les étrangers étant souvent traités de païens. Guillaume le Conquérant avait notamment recruté des Germains pour l’invasion de l’Angleterre, de même que des « païens du Cotentin »[i].

Or, notre ADN-Y permet de croire que nos lointains ancêtres ont autrefois vécu, sans nous préciser à quelle époque, au nord de l’Allemagne, une région appartenant au Danemark il y a mille ans, mais peuplée de Saxons et voisine du pays des Frisons, ancêtres des Hollandais. Rien n’est certain, mais il est toutefois clair que des nouveaux venus en Normandie, officiellement créée en 911, provenaient de la même région. Notre ancêtre peut également venir de Poméranie située plus à l’est, soit la rive sud de la Mer Baltique, où les Germains du Nord se sont beaucoup mélangés à des Slaves tout en appartenant un certain temps au royaume danois.

Païen (ou un fils à lui), qui habite Berchebi, pourrait être le premier à avoir été désigné comme étant de Beruby, la forme que le nom de la place a pris très tôt sous le règne des Normands (vers 1120). Il détient deux « hides » (une mesure anglaise) obtenus du roi William, soit Guillaume le Conquérant. Un hide suffit normalement à faire vivre un seigneur, sa famille et ses dépendants. Il s’agit donc d’un petit domaine.

Celui-ci comprend cinq « car. » de terre arable, c’est-à-dire cinq acres dans ce cas, selon Moore. Il y a deux terres avec un serf sur chacune, en quelque sorte un fermier placé sous l’autorité de Païen, dix vilains (esclaves appartenant à Païen) et huit tâcherons (le terme bordar utilisé correspond à un paysan dont le statut est un peu meilleur que celui de l’esclave) travaillant sur les trois acres restants. Il y a en plus six acres de prairie.  D’après Encyclopedia Britannica, the Anglo-Saxon acre was defined as a strip of land 1 × 1/10 furlong or 40 × 4 rods (660 × 66 feet). One acre gradually came to denote a piece of land of any shape measuring the present 4,840 square yards. Il y a enfin une forêt de six perches (une perche = 5 m ou 16 pieds) de long et quatre en largeur.

Église St. Mary de Barby (autrefois Beruby), Northamptonshire, datant du Moyen Âge (XIIIe ou XIVe siècles), à une époque où il y a des Beruby dans la région. Peut-être un ancêtre y a-t-il mis les pieds, qui sait?[ii]

Identifié à Païen, le seigneur local, ces propriétés relèvent en 1086 de Guillaume Peuerel (Peverel) (c.1040-1115), le seul bâtard présumé de Guillaume le Conquérant, que celui-ci a doté de plusieurs domaines. Peverel est le « tenant-en-chef », un titre qui le place au-dessus du seigneur local. Chevalier né en Normandie, ce Guillaume aurait participé à la bataille de Hastings en 1066, de même que Ranulph Peverel, un chevalier flamand qui a épousé sa mère et dont il a pris le nom. À noter que le Domesday Book identifie également ce Guillaume comme un de ceux qui a construit des châteaux en Angleterre, une collection de bâtiments nommée « Honour of Peverel ».

Il y a lieu de s’intéresser à Païen, un petit seigneur protégé par les autorités normandes, qui vit dans un lieu que l’on commence à nommer Beruby vers 1120. Bien que les noms de famille n’existent pas encore, il est probable que ses descendants se soient fait connaître aussi, dès le XIIe siècle, comme venant de Beruby.

Les patronymes apparaissent plutôt au XIIIe siècle. On trouve très tôt durant ce siècle des notables au nom de Beruby, par exemple Samson, Prieur de Saint-André à Northampton, mentionné dès 1220 dans un texte officiel en latin comme étant de Berchebi, que les Normands appelaient Beruby depuis près de cent ans. Je pense aussi à des propriétaires terriens du comté, par exemple Simon de Berughby, retracé dès 1240, dont les descendants écrivent aussi leur nom Beruby. Il y a aussi John de Beruby, attorney en 1280, dans le village voisin de Daventry. À mon avis, Adam de Berruby, présent à Dublin en 1263-64, provient probablement de la même région, tout comme un autre Adam qui possède une terre à Daventry en 1323. William de Beruby qui a fondé une mine de charbon à Shippen, dans le Yorkshire[iii], en 1262, est marié à une Walcote, nom qui provient d’un comté voisin dans les Midlands. Quant à Hugh Beruby présent en 1337 à Anglesey, dans le nord du Pays de Galles, il y a peut-être un lien avec Hugh, héritier du demi-fief de Simon en 1285, lequel passe plus tard, en 1314, à John et Robert Beruby.

Si le nom de lieu Beruby n’est vraiment devenu patronyme qu’au début du XIIIe siècle, ceci laisse un écart de plus de 100 ans à partir de Païen, certainement trois générations. Compte tenu du rang social des premiers Beruby de la région, il y a cependant tout à fait lieu de se demander si les Beruby du comté de Northampton ne remontent pas à ce petit seigneur. Le rang que ces Beruby occupent donne en effet du poids à cette hypothèse, même si cela demeure une hypothèse. Il y a plus de chances qu’ils descendent du 1er seigneur de Beruby que des quelques serfs, vilains ou tâcherons qui vivaient sous son autorité. Mais, il est également possible que Païen soit mort sans descendance, ou autrement délogé de l’endroit, et que les Beruby descendent d’un successeur désigné par William Peverel.

Le domaine deviendra par la suite un « manor of Beruby » qui appartiendra à Sancha de Provence, belle-sœur du roi Henri III, et aux Zouche, la famille d’origine bretonne dont sont issus, de père en fils, les barons d’Haringworth et même un archevêque d’York. Or, il y a au moins un Beruby (écrit Berwby) qui a été assez proche des Zouche pour compter parmi les héritiers de William, IIIe baron d’Haringworth, en 1381; un John Berowby, peut-être le même individu, a également été, en 1397, l’exécuteur testamentaire de Richard, frère du baron, qui avait combattu en France et vécu à Calais. En 1418, Guillaume (William) La Zouche, Lord of Haringworth, a enfin participé au siège de Rouen alors qu’il était déjà gouverneur de Calais. Il y a de quoi se demander s’il ne traînait pas un Beruby avec lui, à moins que celui-ci ait bénéficié des relations de sa famille avec les Zouche pour tirer profit de la prise de Rouen en 1420. Cela offrait une belle occasion pour s’établir alors que l’économie anglaise stagnait encore par suite des effets prolongés des épidémies du XIVe siècle.

Ceci dit, la devise de notre association commence par les mots « Avec foi,…. ». Se pourrait-il que nous descendions néanmoins d’un Païen ?

 

Michel Bérubé, #0338
Président de l’AFB

Texte publié à l’automne 2013 et révisé en mai 2018.

[i] Certains « païens du Cotentin » descendaient des Vikings de Jomsburg ou Jomsvikings, des mercenaires entraînés en Poméranie, sur une île située près de la Pologne, qui avaient participé à la conquête de l’Angleterre sous Canute (Knud en danois) le grand, en 1016, avant d’en être chassés par celui-ci.

[ii] Photo publiée avec l’aimable autorisation de M. William Evitts, né à Barby d’une vieille famille dont les origines y remontent au XVIe siècle. M. Evitts habite en Saskatchewan depuis plus de 35 ans.

[iii] J’ai pensé pour un temps que les Beruby du Yorkshire ne pouvaient être apparentés à ceux des  Midlands (centre du pays). Mais le roi Guillaume ne voulait pas que ses barons soient maîtres de territoires homogènes. Il leur donnait donc des fiefs qui pouvaient se situer dans des régions très différentes du royaume. Les familles Zouche et Cantilupe qui possédèrent successivement le Manoir de Beruby dans les Midlands avaient aussi des fiefs au Yorkshire où ils ont pu déplacer certains de leurs vassaux ou hommes de confiance. Certains Beruby du nord pourraient donc tout à fait être parents avec des Beruby apparus dans les environs du Manoir de Beruby.